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Transition énergétique des logements locatifs : le casse-tête des propriétaires

Par Éric Allouche, directeur exécutif du réseau ERA Immobilier

 

 

La France s’est engagée dans un élan de mutation environnementale qui met lourdement à contribution l’immobilier. Dans ce secteur malgré lui fort émetteur de gaz à effets de serre, tous les acteurs sont mis à contribution, les producteurs de logements neufs, désormais nécessairement vertueux, mais surtout les propriétaires du parc existant et les professionnels à leur service, agents immobiliers et administrateurs de biens. Sans conteste, les seconds sont face au défi le plus considérable et les pouvoirs publics ne mesurent pas à quel point. Tout se passe comme si la loi promulguée, le gouvernement considérait que la cause était entendue. Il va falloir qu’au quinquennat et à la législature des oukases, ceux de la loi Climat résilience du 22 août 2021 en particulier, succèdent à ceux du mode d’emploi et du réalisme. On en est loin.

 

Sans délai, quelques mois seulement après le vote de la loi, les couperets tombent l’un après l’autre, empêchant les propriétaires bailleurs de louer librement leurs biens. Déjà effectives, les interdictions d’augmenter les loyers des logements classés F et G, mais aussi d’appliquer un complément de loyer dans les communes où l’encadrement est en vigueur. Dans les prochaines années, dès 2023, il ne sera plus possible de louer les biens classés G qui excèdent 450 kilowattheures/m²/an et à terme, l’ensemble des passoires thermiques (bien classés E, F ou G) devront être progressivement éradiqués d’ici 2034, sauf à redresser d’ici là, au prix de travaux onéreux, leurs performances énergétiques. Les aides publiques ? Elles existent, mais calibrées selon les revenus, elles ne concernent que peu les bailleurs, et s’adressent bien davantage aux propriétaires de maisons individuelles, jeunes ménages à faibles revenus. En somme, les investisseurs doivent bien plus compter sur leurs fonds propres et surtout sur leur capacité d’endettement pour financer les travaux aujourd’hui indispensables pour pouvoir continuer à louer. Or, l’État dégrade le rendement locatif, en bridant les hausses de loyer, interdites aux logements les moins vertueux, qu’il faut pourtant transformer.

 

Les bailleurs rencontrent une autre difficulté : souvent plus âgés que la moyenne des emprunteurs, en fin de carrière ou retraités, ils n’ont pas un accès aisé au crédit, ou à des conditions qui grèvent les mensualités, en particulier à cause de l’assurance obligatoire. À ce jour, le produit de financement inventé par la loi Climat résilience, le « prêt avance rénovation » n’a rencontré aucune adhésion de la part des banques, qui ne le distribuent pas.

 

Face à cette somme de tracas, les investisseurs sont largement tentés de quitter le navire lorsqu’un locataire libère leur logement et les agents immobiliers constatent l’amorce du mouvement. Ils sont en outre sollicités pour des évaluations de biens locatifs occupés, pour preuve des états d’âme de la communauté des bailleurs. Sans compter les incertitudes juridiques auxquelles ils sont confrontés, qui ne les inclinent pas moins à vendre… Ainsi, le diagnostic de performance énergétique (DPE) a connu des turpitudes au cours de l’année dernière qui ont fragilisé les relations locatives : après être entrée en vigueur, le DPE de nouvelle génération, opposable -c’est-à-dire pouvant servir de base à une action judiciaire en contestation du loyer intentée par un locataire-, a été retiré de la circulation pendant plusieurs mois, pour manque de fiabilité. Toujours dans l’ordre de l’instabilité juridique, un propriétaire est tenu de présenter à tout candidat locataire, pour un nouveau contrat comme pour un renouvellement, un DPE, réalisé selon les règles de calcul actualisées -avec calcul de la consommation mais également des émissions de gaz à effet de serre, et simulation de travaux-. Rien n’a été expressément prévu pour les tacites reconductions de baux. Certes, les professionnels choisissent la prudence et incitent leurs propriétaires mandants à faire rétablir un DPE, pour assurer au locataire l’information la plus sincère… Il reste que la loi n’a pas anticipé ce cas : illustration de plus que la complexité joue contre le progrès de la transition environnementale.

 

Les pouvoirs publics doivent sans délai réaliser que la mutation du parc locatif deviendra très problématique si le pragmatisme ne s’impose pas et n’inspire pas toutes les décisions à venir. Le diable est dans le détail, qui n’en est pas un d’ailleurs quand il s’agit du patrimoine de quelque 5 millions de ménages, dont le pays ne peut se passer.

Tribune reprise dans Le Revenu le 4 novembre 2022