12 mai 14

Le luxe de l'incurie

Le problème est que les approximations politiques portent un grave préjudice au marché lui-même et que le désarroi des particuliers et de ceux qui sont appelés à les assister, agents immobiliers notamment, est considérable. Le marché, déjà asthénique, n'avait pas besoin de ce coup de froid. C'est un luxe que le pays ne pouvait s'offrir. - Par François Gagnon

Par François Gagnon, Président ERA Europe et ERA France

 

Ni les professionnels de l'immobilier ni les ménages ne sont dans l'abstraction. Ils avaient en tête deux défis à relever : la loi ALUR, avec ses 208 décrets attendus, ne deviendrait applicable qu'au prix d'un long travail règlementaire, après le marathon législatif. Il s'ajoutait à cette réalité juridico-pratique un événement politique à gérer : le changement de gouvernement. La conjonction des deux promettait une période délicate. Le pire n'étant jamais sûr, on n'imaginait pas qu'elle serait épouvantable.

 

Explication et griefs. Sur le premier sujet, on pourrait penser que l'application d'une loi obéisse toujours à cette logique et on peut même la trouver saine : on a trop par le passé confondu le champ légal et le champ du règlement, et trop voté de lois bavardes, qui comportent des dispositions excessivement précises. Il appartient sans conteste aux décrets et arrêtés de préciser les choses, notamment les modalités de l'application de la loi. Ainsi, l'obligation pour le vendeur d'un lot de copropriété ou son mandataire agent immobilier de fournir désormais une longue liste de documents à l'acquéreur pour éclairer sa décision est bien du domaine de la loi... mais la mise en œuvre, impliquant en particulier le recours au syndic, est une autre paire de manches. Soit.

 

Sauf que dans ce cas, quand on sait qu'il faudra un mode d'emploi règlementaire, on travaille selon une technique à laquelle les cabinets ministériels et les services de l'Etat sont rompus, dite "des décrets masqués". Elle consiste simplement à anticiper la rédaction des textes d'application, avant même la promulgation de la loi. Cette préparation se fait d'ailleurs avec les parties prenantes professionnelles, en toute simplicité. A supposer qu'une disposition ne soit finalement pas votée, que la commission mixte paritaire la supprime, ou encore que le conseil constitutionnel l'invalide, on déchire le brouillon réglementaire et le tour est joué. En attendant, on gagne de précieux mois. Cette méthode s'impose tout particulièrement pour des mesures de nature technique, conditionnées par la prévision des détails indispensables aux acteurs chargés de leur mise en œuvre.

 

Il n'en a rien été. Le gouvernement ne s'est absolument pas intéressé aux décrets avant le moment fatidique de l'entrée en vigueur des dispositions de la loi. Quand on se rappelle que l'examen parlementaire a duré près d'un an, on se demande ce qui a conduit à cette impéritie. Madame Duflot se serait-elle dit "après moi le déluge", voyant arriver la débâcle des municipales et le remaniement qui s'ensuivrait inéluctablement ? Ce ne serait pas digne d'une femme d'Etat, mais qui sait si elle prétendait à ce statut... Quoiqu'il en soit, on s'est offert le risque de l'incurie.

 

Le résultat, lui, ne s'est pas fait attendre : agents immobiliers, syndics de copropriété, notaires, préteurs, vendeurs et acquéreurs sont dans la panade. Ils ne savent à quel saint se vouer, ni qui fait quoi ni quand ni comment.

 

Quant au renouvellement des équipes, il a emporté des conséquences qu'on n'avait pas imaginées : nous vivons rien moins qu'une période d'apprentissage, au plus mauvais moment. Une ministre qui découvre le logement, un cabinet inexpérimenté, une administration centrale marquée par l'arrivée prochaine d'un nouveau directeur, voilà la  conception de la continuité de l'Etat sous nos yeux.

 

Tout cela pourrait n'être qu'anecdotique. Le problème est que ces approximations politiques portent un grave préjudice au marché lui-même et que le désarroi des particuliers et de ceux qui sont appelés à les assister, agents immobiliers notamment, est considérable. Au point que certains préfèrent différer leurs acquisitions... sine die. Le marché, déjà asthénique, n'avait pas besoin de ce coup de froid. C'est un luxe que le pays ne pouvait s'offrir. Il n'est que temps que la ministre et ses services s'inquiètent de cette situation et apportent d'urgence sur toutes les dispositions qui l'exigent les réponses pratiques qui conviennent.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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