La crise sanitaire a stoppé net l'envolée des transactions. Ses répercussions pourraient précipiter le marché dans la récession dès cette année, avec des impacts contrastés selon les territoires. Selon Sébastien de Lafond, président-fondateur de Meilleursagents.com, la tenue du marché de l'immobilier résidentiel post-confinement « dépendra de ses trois moteurs : l'emploi, les crédits et la confiance ».« C'est une évidence : la récession économique va se déverser sur le marché immobilier », affirme Jean-Michel Ciuch, directeur général et fondateur d'Immo G Consulting. Outre des effets à court terme sur l'activité et les prix, la crise pourrait se traduire, sur la durée, par 5 changements majeurs.
De 25 à 30 % de transactions en moins
Le moral des Français sera un facteur déterminant. « L'achat d'un bien, c'est un projet de confiance. Si l'on sort du confinement avec le sentiment que le virus ne va pas bégayer, on peut imaginer un retour, aux alentours du deuxième trimestre 2021, à un volume d'activité équivalent à celui d'avant la crise, anticipe Sébastien de Lafond. En revanche, si survient une deuxième vague avec des confinements par intermittence, le marché sera plus profondément affecté. » Dans le cas d’une reprise « en U », privilégiée par plusieurs experts, le volume de transactions diminuerait de 25 à 30 % en 2020, pour atteindre 700 000 à 850 000, contre 1 076 000 en 2019. Le neuf n'échappera pas à cette tendance. « Au début de la crise de 2008, le volume des ventes avait été divisé par deux », rappelle Jean-Michel Ciuch.
Jusqu'à 20 % de baisse des prix
Cette chute des ventes entraînera mécaniquement celle des prix. Selon plusieurs réseaux d’agences, celle-ci pourrait atteindre jusqu'à 5 % d'ici la fin de l'année. Tablant sur un temps d'inertie avant que les vendeurs n'actent la baisse, Jean-Michel Ciuch prévoit une « grande masse déflationniste » dans les 6 à 10 prochains mois. D'ici 2022, maisons et appartements anciens pourraient perdre jusqu'à 20 % de leur valeur. « Au moins un tiers des communes de moins de 150 000 habitants vont être affectées », prévient-il. Les agglomérations de plus de 200 000 habitants devraient mieux résister, même si une dépréciation de 5 à 15 % est à prévoir. Seuls Paris et la première couronne feraient figure d'exception, avec une stagnation des prix pour la capitale et une baisse limitée pour les départements limitrophes.
Des conditions de crédit plus restreintes
« Les taux d'intérêt connaissent une hausse par rapport à 2019 et au premier trimestre 2020, mais celle-ci est contrôlée et ne devrait pas se poursuivre. Nous devrions arriver à un niveau de taux stable qui permettra aux emprunteurs de poursuivre leurs projets », estime Philippe Taboret, directeur général adjoint de Cafpi. Les professionnels de la transaction s'inquiètent, en revanche, du resserrement des conditions d'octroi des crédits. « Il est à craindre que les banques réévaluent les dossiers les moins solides, notamment ceux des primo-accédants », pointent les Notaires de France dans leur dernière note de conjoncture. Jean-Michel Ciuch le confirme : « Aujourd'hui, nous assistons à une réallocation des volumes de prêts bancaires vers les entreprises. Les arbitrages se feront au détriment des ménages les plus fragiles. »
Un exode urbain progressif
Selon ce dernier, « le télétravail pourrait réduire de 20 à 30 % en moyenne la surface de bureaux utilisés par les entreprises dans les 6 prochaines années ». Ce bouleversement va redéfinir les zones d’attractivité pour l'immobilier résidentiel. « Cela va jouer en faveur d'une migration vers les périphéries de villes moyennes situées dans un rayon de 100 kilomètres des métropoles », assure l'expert d'Immo G Consulting. Pour Paris par exemple, des aires urbaines comme Orléans, Evreux, Chartres, Amiens, Alençon ou Abbeville pourraient tirer leur épingle du jeu. Jean-Michel Ciuch invite toutefois à ne pas surestimer ce phénomène : « L'exode urbain massif est une vue de l'esprit. Le retour à ces villes moyennes sera marginal et progressif sur les 6 à 10 prochaines années. » Si cette tendance se confirme, la couverture Internet et téléphonique des territoires, indispensable pour envisager le télétravail, sera un enjeu stratégique.
La pierre, une valeur refuge... à risques
Dans une période anxiogène, le logement, par sa fonction de protection physique, motive des décisions d'acquérir, notamment de la part de primo-accédants échaudés par les conditions de leur confinement dans des logements exigus. Un constat qui pousse à anticiper, dans les prochains mois, une hausse de la demande dans des zones l’écart des centres urbains prohibitifs pour ces profils, mais tout de même situées dans l’aire d’influence des métropoles. Cependant, l’hypothèse d’un afflux d’investisseurs particuliers vers l'immobilier reste sujette à caution. « L'incertitude économique ne peut que jouer négativement sur les investissements locatifs. La demande locative va être plus fragile et les investisseurs voudront limiter leurs risques. La défiscalisation, qui était le premier critère pour un investissement locatif, va passer au second plan, détrônée par la solidité financière de l'occupant », souligne Jean-Michel Ciuch.
L'espace, le nouveau luxe
« Après une longue période de confinement à domicile, les clients prennent conscience de l'importance de vivre dans un logement de qualité, un refuge quand le monde extérieur est hostile », affirmait Thibault de Saint-Vincent, président du groupe d'immobilier de luxe Barnes, lors d'un webinar organisé en avril.
« La présence d'un jardin et d'un bureau pour le télétravail devient essentielle », complète Adam Redolfi, directeur associé de Barnes à Miami. Pour le professionnel,
« le nouveau luxe post-Covid-19 sera l'espace » devant le critère de l'emplacement.
« La proximité du lieu de travail perdra de sa valeur car le home office va devenir une norme plutôt qu'une étape passagère », prévient-il. Malgré une demande toujours forte pour les biens très haut de gamme, l'immobilier de luxe ne sera pas épargné par la récession. Le président de Barnes anticipe
« un trou d'air de 3 à 6 mois avec seulement quelques ventes de nécessité » et
« des transactions qui devraient repartir à l'automne avec des prix inférieurs de 5 à 15 % à ceux d'aujourd'hui ».
Source : Le Moniteur