Après une année 2019 record et une pose forcée entre avril et mai 2020, l’immobilier d’entreprise devrait recouvrer rapidement son dynamisme. Car si l’impact de la crise sanitaire reste difficile à déterminer sur le plan de l’emploi, le secteur dispose de fondamentaux solides et bénéficie de son image de valeur refuge. Selon les gérants, les tendances à l’œuvre avant la crise devraient se confirmer et profiter aux bureaux du centre de Paris, à la logistique et aux services de proximité.
Si l’on étudie les données du premier trimestre (incluant 2 semaines de confinement), les chiffres de l’immobilier d’entreprise restent dans la lignée des années précédentes. En 2019, les transactions en France avaient atteint 37,6 milliards d’euros selon Knight Frank France, soit un niveau largement supérieur à la moyenne décennale (23,2 milliards d’euros/an). Le 1er trimestre 2020 poursuit cette trajectoire record, avec 6,2 milliards d’euros de volumes investis : un record pour un début d’année, et une augmentation de 28 % par rapport au 1er trimestre 2019. « Ce très bon résultat prolonge une fin d’année 2019 exceptionnelle », affirme Matthieu Garreaud, co-directeur du département investissement de Knight Frank France. Ainsi, 15,6 milliards d’euros avaient été investis au 4e trimestre, permettant au marché français de pulvériser son record sur l’ensemble de 2019.
Une différenciation à l’œuvre entre les secteurs d’activités
Peu de spécialistes vont cependant, pour l’heure, jusqu’à voir dans ce coup d’arrêt une rupture de long terme avec la dynamique record en cours jusqu’à mi-mars. Mais ils constatent déjà de premières conséquences à très court terme sur leurs portefeuilles, particulièrement marquées dans le commerce et l’hôtellerie - notamment des reports dans le paiement des loyers été demandés par les exploitants dans ces deux domaines. Nombre de gérants ont donc développé de nouvelles solutions, notamment en faisant basculer certains paiements trimestriels en paiements mensuels, ou en offrant la possibilité de régler les loyers en fin de trimestre au lieu du début du trimestre afin de conforter la trésorerie à court terme des locataires les plus affectés par la crise.
Certains acteurs parviennent toutefois à mieux tirer leur épingle du jeu : les commerces dans les villes moyennes et les grands centres commerciaux en périphérie sont plus particulièrement affectés par la crise. En revanche, le commerce alimentaire de proximité a mieux résisté et garde un potentiel de croissance, tout comme les grandes enseignes de centre-ville. De manière moins attendue, la confiance est également de mise dans l’hôtellerie : En Europe, l’offre en matière d’hôtellerie, notamment dans les grandes métropoles, est depuis de nombreuses années jugée insuffisante par les experts. Celle-ci devrait donc résister à la crise, d’autant que les grands hôtels dans ces zones sont souvent détenus par de grands groupes qui peuvent supporter un creux dans leurs activités. Autant de segments sur lesquels, justement, sont principalement positionnés les gérants de SCPI.
Immobilier du bureau : des dynamiques distinctes entre actifs prime et value added
Concernant l’immobilier de bureau - principal sous-jacent en immobilier d’entreprises - les gérants n’évoquent pas de difficultés particulières pour percevoir les loyers. Cependant, alors que les rendements ont baissé de façon quasi-uniforme avant la crise sanitaire, une segmentation plus marquée entre les opérations «core» ou «prime» et les autres apparaît ces dernières semaines. « Toutes les opérations “prime” dans le quartier central des affaires (QCA) parisien ou en première couronne initiées avant le confinement ont repris et devraient être finalisées, indique Vincent Bollaert, CEO de Knight Frank France. En revanche, les opérations dites de “value added” c’est-à-dire portant sur des biens à restructurer ou situés dans des zones en devenir rencontrent plus de difficultés. »
Un point de vue partagé par une large majorité d’experts. Ces opportunités sont d’autant plus attractives que le secteur bénéficie indirectement du soutien de la Banque centrale européenne (BCE) : la liquidité abondante liée à ses politiques va en effet devoir trouver des pistes de placement, et l’immobilier, en tant que valeur refuge, fait partie des secteurs qui devraient en bénéficier en priorité.
Une demande toujours dynamique
Cette dynamique dépendra du maintien des fondamentaux pré-crise, notamment le faible taux de vacance des bureaux dans le QCA et en première couronne. C’est à ce titre que se pose la question de l'essor du télétravail, si marqué ces derniers mois que de nombreux observateurs anticipent que les grands groupes pourraient diminuer fortement leur demande en termes de mètres carrés. PSA, par exemple, a déclaré début mai vouloir faire du télétravail la règle pour toutes les activités hors production, afin de réduire drastiquement la surface nécessaire à l'accueil de ses salariés.
Les gérants minimisent encore les impacts de ce risque sur la demande en immobilier de bureau. « Le télétravail existait déjà avant le confinement, mais il était limité à quelques jours par mois, rappelle Vincent Bollaert. Il devrait se développer sous la forme d’1 ou 2 jours par semaine, mais les salariés ne pourront pas effectuer toutes les tâches depuis leur domicile. » En parallèle, les bureaux vont poursuivre leur transformation. « Le nombre de mètres carrés par collaborateur pourrait augmenter du fait des nouvelles normes sanitaires », poursuit Vincent Bollaert. Dans cette perspective, de nouveaux espaces devraient être aménagés dans les bureaux, notamment du fait de l’essor de la nouvelle certification WELL, qui labellise la qualité de l’air et de l’eau, mais aussi le confort psychologique et le bien être des usagers.
La crise sanitaire devrait ainsi davantage accentuer des tendances déjà à l’œuvre que les modifier. Les entreprises pourraient se trouver confortées dans le choix de rapatrier leurs activités dans de grands centres urbains.
La même tendance est à l’œuvre sur d’autres segments l’immobilier d’entreprise. Le développement du e-commerce - qui a atteint des sommets pendant le confinement - favorise l’immobilier logistique (entrepôts, etc.). Enfin, la métropolisation et le vieillissement de la population entraînent des besoins accrus de services et de commerces de proximité. Les attentes des citadins en matière de lieux de convivialité restent cependant vives : à Paris par exemple, 700 cafés ont ouvert en 4 ans. Même si quelques-uns devraient rencontrer des difficultés temporaires ou à plus long terme du fait de la crise sanitaire, cette dynamique devrait se poursuivre. Le succès sans précédent dès la réouverture des bars, cafés, restaurants lors de la deuxième phase de déconfinement montre, si besoin était, l’attrait de ces lieux pour les consommateurs. Et conforte les gérants dans leur optimisme pour la classe d’actifs à long terme.
Source : Opinion Finance