Dans une tribune au « Monde », l’architecte Erik Mootz développe l’idée que compte tenu des matériaux employés, le coût environnemental de la rénovation des passoires énergétiques est des plus discutable.
La neutralité carbone à l’horizon 2050 fait consensus et a même été érigée au centre de la politique du ministère Logement, rattaché au ministère de la Transition écologique depuis le remaniement. « Aux populations, la rénovation promet une chaleur protectrice et la baisse du montant de leurs factures. Aux acteurs de la filière industrielle, la promesse d’un marché vertueux, profitable et durable. Aux écologistes, un chapitre incontournable de la transition énergétique. Aux politiques, la synthèse convergente des opinions sociales, vertes et libérales. A l’action publique, un ennemi visible : le « trou de la passoire », que la structure sociale répare. », note Erik Mootz.
Il est vrai que le bâtiment représente aujourd’hui 44 % de l’énergie finale consommée en France (chiffre 2015, fiche Stratégie nationale bas-carbone [SNBC], ministère de la transition écologique et solidaire). Réduire sa consommation de 28 % à l’horizon 2030 permettrait d’éviter le rejet de plus 20 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère.
Pourtant, si le gain est mis en avant de manière insistante, le coût environnemental de cette stratégie est un volet abordé beaucoup plus discrètement. Selon Erik Mootz : « il n’existe aucun modèle fiable qui permette d’évaluer sérieusement le bilan carbone de cette politique. La traçabilité carbone des matériaux de construction est une science qui a moins de vingt ans et la fiabilité des données disponibles pose question. ».
En cause, les fiches de données environnementales et sanitaires (FDES) qui quantifient l’émission de dioxyde de carbone des matériaux de construction ne sont ni exhaustives ni obligatoires. En outre, elles ne sont pas établies par des laboratoires indépendants de type universitaire, mais par des organismes dont l’ADN est étroitement lié à celui de l’industrie du bâtiment – AIMCC, Alliance HQE-GBC, CSTB, Capeb… « Autrement dit, nous ne disposons pas d’outils ad hoc pour évaluer le coût environnemental de cette stratégie. Et ce que nous observons quotidiennement sur nos chantiers nous incite à penser qu’il sera énorme. », prévient l’architecte.
Selon lui, si la filière industrielle du bâtiment est aussi énergivore, c’est aussi parce que les matériaux utilisés dans la construction sont issus à 90 % des filières pétrolières ou minières et que leur transformation industrielle représente un coût énergétique considérable.
«Entre un bâtiment haussmannien et un bâtiment contemporain, le nombre de matériaux intervenant dans la constitution de la façade a décuplé. Mais, surtout, le nombre de composants qui interviennent dans la construction des enveloppes a centuplé », s’inquiète Erik Mootz, qui estime qu’il faut donc cent fois plus d’opérations de transformation industrielle pour fabriquer la façade d’un bâtiment moderne – répondant aux normes environnementales – que pour construire un bâtiment de la fin du XIXe siècle. Et cette tendance s’accélèrerait avec la poursuite de l’efficacité énergétique.
Alors que la totalité des experts s’entend pour désigner la sobriété comme l’unique modèle capable d’atteindre la neutralité carbone, la construction des bâtiments suivrait une tendance inverse. « Au nom de l’environnement, nous saturons nos façades de produits émissifs : nos bâtiments sont obèses quand l’urgence climatique exige une architecture ascétique reposant sur une optimisation rigoureuse des dispositifs de construction », note l’architecte, estimant que l’urgence climatique exige une réforme profonde de nos habitudes et de nos industries.
L’auteur met notamment en garde contre les récits trompeurs en se basant sur les recherches de Michael Shellenberger – coauteur du manifeste écomoderniste – qui révèlent que les stratégies axées exclusivement sur les énergies renouvelables ont pour effet d’augmenter les émissions de gaz à effets de serre. L’enquête du réalisateur et activiste Jeff Gibbs [réalisateur du film « Planet of Humans »] a également démontré qu’aux Etats-Unis le pic de combustion de combustibles fossiles coïncide avec l’abandon des centrales thermiques au profit des biocombustibles.
Source : Le Monde
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