Contact médias : Carol Galivel - 01 41 05 02 02 - 06 09 05 48 63 – galivel@galivel.com

2 nov. 22

Promoteurs immobiliers : donner de l’attrait au bail réel solidaire

Face aux hausses brutales des taux d’intérêt pour les acteurs économiques, des taux de crédit pour les particuliers et des coûts des matériaux de construction, la production de logements neufs dans notre pays se porte mal. Sans relance dans les meilleurs délais, une grave crise de l’offre nous affectera.
Elle induira un déséquilibre social majeur, avec des centaines de milliers de projets immobiliers qui ne trouveront pas de réponse. Les remèdes à administrer sont connus : débloquer le foncier disponible, donner le mode d’emploi du « zéro artificialisation nette » (ZAN) aux promoteurs et aux élus, mettre fin à la surenchère normative, innover en matière de modes constructifs et de matériaux, stabiliser les dispositifs d’aides tels que le PTZ ou le Pinel. Il faut agir d’urgence pour que le logement ne devienne pas une des bombes sociales de demain. Au-delà des problèmes identifiés, il reste que la marche à gravir par les ménages pour accéder à la propriété est haute, plus encore bien sûr depuis que l’inflation fait rage.
 
L’ingénierie financière et foncière est en mesure d’apporter une solution forte : le bail réel solidaire, créé en France par deux lois successives, la loi ALUR de 2014, la loi de 2015 pour la croissance et l’égalité des chances économiques et un dispositif légal et règlementaire opérationnel depuis 2017. Ce dernier, porté par la ministre Emmanuelle Cosse, a permis, notamment, de faire bénéficier l’acquéreur d’une TVA réduite à 5,5%. Les OFS (organismes de foncier solidaire) sont empruntés au modèle anglo-saxon des community land trusts, remontant aux années 70 dans leurs pays d’origine, l’Angleterre et les États-Unis. Le principe en est simple : le terrain et le bâti sont dissociés, le premier propriété d’institutions, des trusts dans la formule d’outre-Atlantique ou d’outre-Manche, des offices fonciers en France, et le second acquis par des ménages, qui louent pour un loyer « modique » le sous-jacent foncier. Cette voie a été réservée par le législateur français aux accédants ayant des revenus intermédiaires ou faibles. Lorsqu’on sait que le foncier constitue aujourd’hui entre 25 et 50% du coût d’un logement, on sent bien que ce découplage peut donner un vrai élan aux opérations d’accession sociale à la propriété. Il aurait même pu être étendu à tous les ménages, sans distinction de revenus si la proposition de loi de Jean-Luc Lagleize, était parvenue au terme de son parcours parlementaire. Mais le texte s’est arrêté au Sénat, empêchant le bail réel libre de venir compléter le bail réel dit solidaire, et des offices fonciers libres de voir le jour, au côté des offices fonciers solidaires. On aurait ainsi pu voir cohabiter des OFS, organismes à but non lucratifs, et des OFL, qui ont la possibilité de rémunérer les apports en fond propre et de distribuer des dividendes.
 
Bien qu’en vigueur depuis 2016, le BRS n’en reste pourtant qu’à ses balbutiements. Trois raisons à ce timide développement. D’abord, la force de l’histoire, les acquéreurs français n’ayant pas l’habitude de devenir propriétaire en achetant d’un côté le bâti et de l’autre en louant sa quote-part de terrain. Ce frein est en train d’être levé par les circonstances alors que les candidats à l’acquisition sont désolvabilisés par une conjoncture économique inédite, la primo-accession, véritable moteur de l’économie du logement, a perdu en quelques mois la moitié de son souffle.  Ces foyers ne représentent plus que 30% des opérations d’achat dans le neuf comme dans l’existant contre 60% naguère. Faire drastiquement baisser le ticket d’entrée dans la propriété est donc essentiel. C’est la condition pour que les Français continuent à devenir propriétaires.
 
Un autre frein à la généralisation territoriale du BRS tient à l’information des collectivités locales qui d’une part, n’ont pas forcément intégré, dans leurs documents d’urbanisme, le dispositif BRS à leurs objectifs de production, et d’autre part ont du mal à délivrer leur garantie sur une durée de 80 ans pour débloquer le prêt de la Banque des Territoires. Ce dernier point est d’autant plus important que les collectivités locales maîtrisent de moins en moins leurs ressources, notamment depuis la disparition de la taxe d’habitation.
Enfin, le législateur a négligé un point majeur : la plus-value.  À ce jour, aucune possibilité pour un accédant de profiter de ce mécanisme économique relevant de la stricte loi du marché : la valorisation « naturelle » du bien dans le temps, du moins dans les zones tendues et donc attractives. Des zones, du reste, toujours plus nombreuses, avec le renouveau des villes moyennes et de la périphérie des métropoles surpeuplées. Il serait juste que la loi permette au propriétaire de capter en cas de revente, par exemple, un tiers de la plus-value exercée, contre les deux tiers pour l’office foncier solidaire.
 
Cette équation aurait même plusieurs mérites. Elle donnerait aux OFS les moyens de réinvestir, tout en ajoutant de l'attrait à cette formule pour les accédants, qui y verraient ainsi un ascenseur patrimonial et social, au-delà de la simple possibilité d’être propriétaires. Cette disposition légale serait plus efficace et plus souple pour moraliser le BRS que les clauses anti-spéculatives jusqu’ici insérées dans les contrats qui, pour que les ménages ne tirent pas un profit anormal du dispositif, les contraignent à une durée minimum de détention avant revente.
 
En révisant de manière pragmatique le régime du BRS, on pourrait même faire des OFS l’un des pivots du financement de l’action publique. Dotés dans un premier temps en fonds propres par l’Etat ou les collectivités locales, ces organismes pourraient ensuite, grâce à la perception d’une partie de la plus-value issue des cessions des biens, venir abonder les recettes de leurs contributeurs. De même, pourquoi ne pas imaginer les faire participer au financement des retraites, sur le modèle de l’association Foncière Logement créée en 2002, dont le patrimoine est transféré gratuitement à AGIRC-ARRCO ?
 
Les pouvoirs publics comme les opérateurs privés, dans ces moments éprouvants inédits, doivent faire preuve d’inventivité. À n’en pas douter, le bail réel solidaire est l’un de ces outils disruptifs et transformants, qui peuvent aider le marché et les ménages à triompher de l’adversité économique.