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18 jan. 24
La reprise se profile ?
Bilan 2023 et perspectives 2024 du marché français de l’investissement
Des volumes au plus bas depuis 2010
Les derniers mois n’ont pas inversé la tendance baissière observée depuis la fin de 2022. Alors qu’il s’agit habituellement de la période la plus dynamique de l’année, seuls 3,3 milliards d’euros ont été investis au 4e trimestre 2023 sur le marché français de l’immobilier d’entreprise contre 10,4 milliards en moyenne lors des dix dernières années. « Sur l’ensemble de 2023, les sommes engagées dans l’Hexagone atteignent près de 12,8 milliards d’euros, soit une chute de 53 % par rapport à 2022 et à la moyenne décennale. Il faut remonter à 2010, en pleine crise financière internationale, pour retrouver des niveaux aussi faibles » constate Antoine Grignon, Directeur du département Investissement chez Knight Frank France. Le décrochage a également été brutal en Europe, avec une baisse annuelle estimée là aussi à un peu plus de 50 %. Entre modification des usages immobiliers et remontée rapide des taux, l’immobilier mondial a subi l’attentisme des investisseurs, même si le contexte financier s’est légèrement détendu au cours des dernières semaines.
Lourde chute des grandes transactions
Certains segments de marché ont davantage souffert que d’autres. « Pénalisé par le resserrement des conditions de financement, le marché des grandes transactions a enregistré le recul le plus important. Seules 22 opérations de plus de 100 millions d’euros ont ainsi été recensées en France en 2023, soit un nombre divisé par trois en un an » précise Antoine Grignon. Malgré quelques opérations emblématiques, comme l’achat par INGKA INVESTMENTS de l’ensemble formé par le centre commercial « Italie Deux » et l’immeuble de bureaux « Apollo », les méga-deals ont été particulièrement rares. « Ceci est notamment dû au nombre restreint de ventes de grands portefeuilles, sur le marché des commerces et de la logistique, et au coup d’arrêt observé dans certains pôles tertiaires majeurs comme La Défense. Enfin, la chute des grandes transactions s’explique aussi par la baisse des valeurs métriques, qui pèse mécaniquement sur les prix, ainsi que par l’effacement relatif des investisseurs étrangers » ajoute Antoine Grignon.
Les investisseurs privés à contre-courant
Habituellement très présents sur le segment des grandes transactions, les investisseurs étrangers ont en effet été moins actifs en 2023. Tous types d’actifs confondus, ces derniers n'ont investi que 3,4 milliards d’euros en France l’an passé, soit 27 % du volume total contre 33 % en 2022. Toutefois, quelques investisseurs étrangers ont tout de même bouclé quelques-unes des plus grandes transactions du 4e trimestre, parmi lesquelles l’achat par REALTY INCOME d’un portefeuille paneuropéen de magasins DECATHLON (« Saphir ») et l’acquisition par CADILLAC FAIRVIEW et BOREAL IM d’un portefeuille de cinq entrepôts (« Daisy »).
Le net recul des investisseurs étrangers a fait mécaniquement remonter la part des Français, passée de 67 % en 2022 à 73 % en 2023, même si ces derniers ont également été moins actifs que les années précédentes. Les collecteurs d’épargne en sont une bonne illustration. En 2023, les volumes d’acquisition des SCPI et OPCI ont ainsi diminué de 56 % sur un an mais leur part est passée de 27 % à 37 % des sommes engagées sur le marché français de l’immobilier d’entreprise. Les SCPI ont notamment bouclé quelques opérations significatives sur le marché des bureaux (« Life » dans le 13e acquis par IMMOVALOR, « V » à Versailles acquis par ATLAND VOISIN, « Massy Campus » cédé à REMAKE, etc.), des commerces (« Passy Plaza » à Paris acquis par AEW) ou de l’industriel (portefeuille « Big Deal » cédé à ALDERAN). « Malgré des volumes et une collecte en baisse en 2023, les acteurs de la pierre-papier ne sont pas restés inactifs. Ils ont accéléré la diversification de leur patrimoine au travers d’une plus forte exposition aux actifs industriels ou de la création de nouveaux véhicules, diversifiés ou dédiés à des classes d’actifs en plein essor comme l’enseignement » indique Antoine Grignon.
Enfin, les investisseurs privés se sont aussi distingués, leur part augmentant très nettement pour atteindre près de 13 % en 2023 contre 7 % en 2022 et à peine 2,5 % en 2021. A contre-courant du reste du marché, les sommes investies dans l’Hexagone en 2023 par des privés n’ont même reculé qu’assez légèrement (- 18 % sur un an). « Cette dynamique s’explique par une bonne adaptabilité aux conditions actuelles de marché, avec des capitaux propres importants et un comportement opportuniste tirant parti de l’attentisme des investisseurs institutionnels et de la baisse des prix » analyse Antoine Grignon.
Nouvelle année de baisse pour les bureaux
Si l’Ile-de-France continue de capter la majorité des volumes investis en France, celle-ci s’est encore réduite en 2023 (57 % contre 66 % en 2022). Tous types de biens confondus, les montants engagés s’y élèvent à près de 7,2 milliards d’euros soit une chute de 60 % en un an. En région, la baisse a été moins marquée (- 42 %). « Tendance structurelle du marché français, la baisse de la part de l’Ile-de-France s’est accentuée en 2023, celle-ci étant bien plus exposée aux bureaux et aux acteurs internationaux. En outre, certaines régions continuent de profiter des stratégies de diversification des investisseurs » expose Antoine Grignon.
L’Ile-de-France et les régions n’en ont pas moins été toutes deux sévèrement impactées par le recul des bureaux. Avec 6,4 milliards d’euros investis sur ce segment de marché en 2023 en France, les volumes ont chuté de 56 % par rapport à 2022. La baisse a également été de 56 % en Ile-de-France, mais un peu moins marquée en région (- 52 %). Le nombre très limité de grandes transactions a considérablement pesé sur les volumes d'investissement. Seules dix cessions de bureaux supérieures à 100 millions d’euros ont ainsi été recensées en 2023 en France contre 33 en 2022 et 66 en 2019. Parmi ces dix grandes transactions de 2023, une seule a été signée hors de l’Ile-de-France : l’achat par AEW de l’immeuble « Welink » à Lyon.
L’Île-de-France reste de loin le marché tertiaire le plus important du pays. La région capitale a même vu sa part augmenter d’une année sur l’autre, passant de 53 % en 2022 à 73 % en 2023 avec 4,7 milliards investis en bureaux. Néanmoins, ceci ne doit pas masquer la forte polarisation du marché francilien, entre secteurs tertiaires bénéficiant d’une demande solide des utilisateurs d’une part, et zones de bureaux pénalisées par une diminution plus ou moins importante des surfaces prises à bail et une franche hausse de la vacance d’autre part. En 2023, la plupart des cessions significatives se sont ainsi concentrées dans Paris, la capitale captant 60 % des volumes investis en bureaux en Ile-de-France. La rive gauche a été particulièrement dynamique : également marqués par plusieurs ventes utilisateurs importantes, les 12e et 13e arrondissements ont notamment vu la réalisation de plusieurs grandes opérations, telles l’acquisition récente par LA FRANÇAISE REM et EDF INVEST de « Memphis ». Malgré une attractivité toujours importante, le QCA a quant à lui été bien moins animé que l’an passé, avec 1,3 milliard d’euros investis en bureaux soit une chute annuelle de 57 % liée au contexte financier global mais aussi aux craintes et interrogations nées de la révision du PLU-bioclimatique.
Les volumes investis ont également reculé dans le Croissant Ouest et en 2e couronne. La baisse a néanmoins été bien plus forte dans d’autres secteurs de périphérie. Ainsi, seule une dizaine de transactions totalisant 150 millions d’euros ont été comptabilisées en 1ère couronne, tandis que le marché de La Défense a quasiment été atone. Cette faiblesse illustre la défiance des investisseurs à l’égard de pôles tertiaires dont l’activité locative tarde à se remettre du choc de la crise sanitaire et où la vacance atteint parfois des sommets. « Dans la plupart des secteurs tertiaires franciliens, le point d'équilibre entre les prix attendus par les cédants et ceux proposés par les acquéreurs potentiels n'a pas encore été trouvé. Cette situation devrait encore persister au début de 2024 et limiter le nombre de transactions. L’ampleur de la correction actée dans certains marchés pourrait néanmoins permettre un redémarrage progressif de l’activité, en particulier dans les pôles les plus susceptibles de tirer parti des politiques de rationalisation immobilière des utilisateurs et de l’achèvement programmé des travaux liés au Grand Paris Express » avance Antoine Grignon.
En région, les volumes investis en bureaux sont repassés sous le seuil des 2 milliards d’euros, une première depuis 2015. Lyon reste en tête des grandes métropoles régionales avec près de 325 millions d’euros investis contre 1,1 milliard d’euros en 2022. Quelques opérations significatives ont par ailleurs été recensées à Toulouse (« Riverside » acquis par LA FRANÇAISE) ou Marseille (« Eko Active » acheté par UNOFI).
Commerces : pas si mal
Les commerces ont davantage tiré leur épingle du jeu en 2023. « Avec 3,3 milliards d'euros, les sommes investies en 2023 sur le marché français des commerces reculent de 45 % en un an, soit une baisse moins marquée que celle des bureaux et de l’industriel. Par ailleurs, l’année écoulée a été un cru exceptionnel pour les ventes utilisateurs, illustrant l’importance de la pierre dans les stratégies patrimoniales et commerciales de grands groupes internationaux » indique Antoine Grignon. Les sommes représentées par ces ventes utilisateurs ont dépassé 2 milliards d’euros dans Paris, grâce aux acquisitions réalisées pour le compte de LVMH et de KERING sur l’avenue des Champs-Elysées et sur plusieurs axes majeurs du luxe parisien (rue François 1er, avenue Montaigne, rue Saint-Honoré). « En additionnant ces opérations aux volumes d’investissement « classiques », ce sont plus de 5,4 milliards d’euros qui ont été dépensés en murs de commerces en France en 2023, ce qui équivaut à la moyenne décennale » poursuit Antoine Grignon.
Hors ventes utilisateurs, l’année 2023 a vu une diminution de près de 60 % des investissements en commerces de pieds d'immeubles, qui voient leur part passer de 38 % en 2022 à 29 % en 2023. En revanche, celle des centres commerciaux a nettement augmenté (36 % en 2023 soit 14 points de plus qu’en 2022), gonflée par les cessions de foncières et assureurs français. Ainsi, plusieurs opérations significatives ont été recensées, à l’exemple de la vente par AXA et GENERALI d’« Italie Deux » et « Passy Plaza » à Paris et, en région, de la cession par URW à FREY de « Polygone Riviera » près de Nice. Quelques galeries d’hypermarchés et centres commerciaux situés au cœur de villes moyennes (« Place d’Armes » à Valenciennes, cédé au GROUPE STRAUSS) ont aussi été échangés. « La part des centres commerciaux n’avait plus été aussi élevée depuis 2020. Cette hausse ainsi que la variété des types de biens cédés en 2023 sont le signe tangible de la confiance retrouvée des investisseurs pour ce segment de marché, sur lequel ils sont prêts à réinvestir pour peu que l’actif dispose de bons fondamentaux et que la valeur ait été suffisamment corrigée » relève Antoine Grignon.
Le marché des parcs d’activités commerciales (PAC) a lui aussi plutôt bien résisté. Certes, les volumes ont diminué de 42 % en un an avec près de 930 millions d’euros investis. Cette chute était néanmoins attendue car 2022 avait été une année record. Comparé à sa performance de long terme, le résultat de 2023 est tout à fait honorable, équivalant à la moyenne décennale. En outre, le nombre total de transactions n’a diminué que de 14 % en un an. « Ceci illustre l’intérêt des investisseurs pour des produits de plus petite taille, ce qui a permis de compenser en partie le nombre restreint de cessions de grands actifs unitaires ou de grands portefeuilles » détaille Antoine Grignon. L’achat récent par le fonds américain REALTY INCOME du portefeuille « Saphir » est ainsi la seule référence de plus de 100 millions d’euros relevée sur le marché des PAC en 2023.
Industriel : lourde chute des volumes investis mais intérêt maintenu
Plus forte que celle des commerces, la chute des investissements réalisés en 2023 sur le marché de l’industriel est comparable à celle constatée sur celui des bureaux. Avec 3 milliards d’euros investis l’an passé en France, les volumes ont ainsi reculé de 55 % par rapport à 2022. La baisse est moins marquée pour les locaux d’activités (- 39 %) que pour les entrepôts logistiques (- 63%), pénalisés par le recul des investissements étrangers et celui du nombre de grands portefeuilles. Plusieurs belles opérations ont néanmoins été bouclées en fin d’année, à l’exemple de l’achat par AXA IM du portefeuille « Olympe » ou de la cession à BOREAL IM et CADILLAC FAIRVIEW du Portefeuille « Daisy ». « La diminution des volumes investis s'explique également par l'absence de grandes transactions unitaires. En 2022, nous en dénombrions six de plus de 100 millions d’euros contre une seule en 2023. Un autre élément clé à considérer est l'influence de l'objectif de zéro artificialisation nette des sols, qui impose des contraintes aux nouveaux développements et peut avoir pour effet de restreindre les opportunités de produits neufs à acquérir. En revanche, ceci limite l’offre disponible à la location et permet donc aux investisseurs de tabler sur une croissance durable des loyers » selon Antoine Grignon.
Succès des actifs alternatifs
D’autres types de bien que les bureaux, les commerces et l’industriel ont animé le marché immobilier français en 2023. Certains ont même affiché des volumes d’investissement en hausse ou quasiment stables d’une année sur l’autre. C’est le cas de l’hôtellerie qui, sur fond de hausse des réservations et des RevPAR, a vu ses volumes d’investissement atteindre près de 2,1 milliards d’euros en France l’an passé soit une légère baisse de 9 % sur un an ; le cas aussi de l’immobilier d’enseignement qui, avec un peu plus de 480 millions d’euros investis dans l’Hexagone, a connu une année 2023 record et un résultat supérieur de près de 50 % à celui de 2022. L’immobilier d’enseignement devrait continuer de performer en 2024 en raison des besoins locatifs générés par la hausse des effectifs étudiants dans le privé et de la recherche par les investisseurs d’actifs sécurisés et alternatifs leur permettant de diversifier leur patrimoine. « La stratégie de diversification des investisseurs est aussi illustrée par le dynamisme du coliving, dont le poids a encore augmenté l’an passé. Ainsi plus de 550 millions d’euros ont été investis sur ce marché en 2023 soit une hausse de 20 % par rapport à 2022 et plus de la moitié des sommes engagées sur le créneau du résidentiel géré en France » ajoute Antoine Grignon.
Certaines des transactions significatives recensées sur le marché des actifs alternatifs concernent des biens initialement dédiés à d’autres usages. Les transformations de bureaux ne cessent de fait de se multiplier, particulièrement en Île-de-France où près de 160 opérations de ce type ont été recensées depuis 2019 par Knight Frank[1], majoritairement à Paris et dans les Hauts-de-Seine. Les débouchés de ces opérations sont variés, consistant en 43 % de logements « classiques », 16 % de logements étudiants, 13 % d’hôtels, 9 % de coliving, 3 % de résidences seniors et 16 % d’autres types de biens (foyers, locaux d’enseignement, etc.). Si les freins restent nombreux (conditions de financement, coût des travaux, etc.), la correction parfois importante des prix des bureaux permet d’atteindre un certain équilibre financier. Par ailleurs, une proposition de loi, bientôt étudiée à l’Assemblée, entend assouplir la réglementation pour la transformation de bureaux en logements. Parmi les mesures annoncées figurent notamment la possibilité de déroger au PLU s'il ne permet pas de convertir un actif et la création d'un permis de construire à destinations successives pour accompagner la mutabilité des bâtiments. « Discuté depuis plusieurs années, le sujet de la réversibilité des bâtiments, qui s’est concrétisé en 2023 avec la délivrance à Bordeaux du premier permis de construire sans destination, semble devoir encore gagner en importance en 2024. Ceci favoriserait les objectifs de développement durable des investisseurs, qui déploieraient aussi plus sereinement leurs capitaux sur des actifs pouvant muter et s’adapter plus facilement à l’hybridation croissante des usages » avance Antoine Grignon.
L’espoir d’une reprise avant la fin de 2024
S’élevant à 550 millions d’euros en France en 2023 contre 420 millions en 2022, les acquisitions de biens à transformer seront encore importantes cette année, offrant de nouvelles opportunités aux acteurs poursuivant leur stratégie de diversification. La nécessité pour les investisseurs de rééquilibrer leur patrimoine semble d’autant plus pertinente que le contexte macro-économique demeure très incertain, dominé par des conflits armés, le ralentissement de l’économie mondiale et plusieurs échéances électorales importantes. Sur le marché de l’immobilier d’entreprise « banalisé » (bureaux, commerces, industriel), ceci alimentera la prudence des investisseurs et se traduira par des volumes investis toujours en deçà de la moyenne de long terme. « La baisse de l’inflation et la détente des taux obligataires devraient néanmoins apporter plus de visibilité aux investisseurs. Après une année 2023 ayant vu les taux de rendement prime décompresser de 75 à 125 points de base sur les différents segments de l’immobilier d’entreprise, les valeurs pourraient ainsi trouver leur point d'équilibre et permettre un regain de l’activité sur le marché français de l'investissement » conclut Antoine Grignon.
[1] Actifs ≥ 1 000 m².